Dans son dernier ouvrage "Les kilos émotionnels, Comment s’en libérer", le psychiatre Stéphane Clerget dissèque, exemples à l’appui, les mécanismes affectifs à l’origine de nos kilos émotionnels et de nos difficultés à s’en libérer.
Psychologies : Qu’appelez-vous « kilos émotionnels » ?
Stéphane Clerget : Les kilos émotionnels sont des kilos acquis, des prises ou des pertes de poids provoquées par des raisons émotionnelles récentes ou inscrites plus profondément en nous, remontant parfois à notre enfance.
Comment nos émotions agissent-elles sur notre poids ?
Stéphane Clerget : Leur mode d’action est pluriel. Les émotions peuvent nous pousser à manger davantage. Ou bien à avoir envie de certains types d’aliments, gras ou sucrés notamment. Elles peuvent agir à travers notre activité physique, en l’augmentant ou la diminuant. Elles peuvent enfin entraîne un stockage des graisses, sans que nous mangions plus. Il y a bien sûr une traduction biologique de nos émotions, à travers les hormones, les neuromédiateurs ; mais à l’origine, ce sont d’abord nos émotions, notre vécu qui agissent.
Le stress également nous fait souvent grossir. Par quel mécanisme ?
Stéphane Clerget : Le stress agit particulièrement par l’intermédiaire de la cortisone. Il fait prendre du poids au niveau de l’abdomen, fait davantage grossir les femmes que les hommes, et davantage les femmes minces que les femmes déjà rondes. Il s’agit là du stress chronique. Le stress aigu, lui, fait généralement brûler les calories. Le problème de ce stress chronique est qu’il n’est pas toujours évident à déceler : paradoxalement, les gens les plus stressés ne sont pas forcément ceux qui vont se plaindre du stress.
Vous parlez également de « prises alimentaires émotionnelles ». De quoi s’agit-il ?
Stéphane Clerget : C’est lorsque nous mangeons en réaction à une émotion. Pour l’étouffer par exemple. Ou bien parce que notre histoire, notre éducation, notre construction imaginaire nous a « programmé » pour nous pousser à manger face à telle ou telle émotion. Un exemple simple : si, à chacune de nos frustrations, notre mère nous consolait par un gâteau, un bonbon, ce réflexe de manger aura tendance à perdure adulte.
Ce réflexe de manger lorsque l’on ne va pas bien remonte donc à très loin.
Stéphane Clerget : Il remonte en effet au premier stade de notre développement. La construction de nos premières émotions se fait autour de la prise alimentaire, qui, à ce stade, est le principal mode de communication de l’enfant. Le nouveau-né mange… et établit ses premières relations au monde.
Vous montrez d’ailleurs que beaucoup de choses se jouent dès l’enfance. En tant que parent, que faire pour éviter que son enfant soit victime de « kilos émotionnels » ?
Stéphane Clerget : Il y a toute une éducation alimentaire à instaurer : privilégier les repas à table, les échanges, les activités culinaires avec son enfant ; se donner le temps de manger ; laisser les tout-petits jouer avec les aliments ; interdire les repas devant la télévision. Il est important que l’enfant ait conscience de ce qu’il mange. Il faut aussi agir sur les émotions, en diversifiant très tôt les sources de plaisir de son enfant et en privilégiant l’expression de ses émotions par la parole, les arts. Plus un enfant aura la possibilité de s’exprimer de diverses manières, plus il aura de chance d’exprimer ses émotions autrement que par la prise alimentaire. Et si l’on a soi-même des kilos émotionnels, il faut les prendre en charge...
Aujourd’hui, de plus en plus de personnes sont insatisfaites de leur poids. Avons-nous plus de mal avec nos émotions, et donc davantage de kilos émotionnels ?
Stéphane Clerget : Dans les faits, les gens sont plus gros… mais la tolérance vis-à-vis du surpoids de moins en moins grande. Cette pression sociétale renforce la culpabilité des personnes en surpoids. C’est un cercle vicieux : on a des kilos émotionnels, ce surpoids crée des émotions négatives qui nous poussent à manger. C’est cela qui est nouveau. Ne serait-ce que pour cette raison, il y a davantage de kilos émotionnels aujourd’hui. Quant à savoir si nous avons plus de mal avec nos émotions qu’autrefois, je ne pense pas. Ce qui est certain en revanche est qu’aujourd’hui, nous les exprimons davantage par l’alimentation, facile d’accès.
Sur le forum de Psychologies, beaucoup de personnes font part de ce problème : après une journée difficile au travail, elles ont un besoin irrépressible de se remplir le ventre.Pourquoi ?
Stéphane Clerget : Elles remplissent un vide… C’est effrayant de voir autant de personnes qui, après une journée de travail, n’ont pas le sentiment d’avoir été « remplies ». Elles n’ont pas un travail qui les comble, et lorsqu’elles rentrent chez elles, elles n’ont rien qui les nourrisse suffisamment intellectuellement, spirituellement, affectivement. Et tout cela est renforcé par les régimes restrictifs : tant que l’on est dans l’action, il est facile de tenir, mais une fois chez soi, on lâche prise.
Les kilos émotionnels sont finalement l’expression d’un problème beaucoup plus vaste, celui d’un mal-être ?
Stéphane Clerget : Je vois en effet beaucoup de personnes, et notamment de femmes, qui viennent pour un surpoids, et qui, lorsque l’on creuse un peu, expriment qu’elles n’ont pas la vie qu’elles souhaiteraient avoir. Elles se retrouvent dans une vie, pas forcément déplaisante, qui cependant ne leur correspond pas. Mais elles ne font pas le lien entre cette insatisfaction et leurs prises alimentaires. Constamment en régime, elles sont focalisées sur une chose : manger… et ne prennent pas le temps de penser.
Penser… est-ce la clef pour se libérer des kilos émotionnels ?
Stéphane Clerget : Perdre du poids n’est pas une question de volonté et la maîtrise. C’est une question de libération émotionnelle et de connaissance de soi. Pour cela, il faut tout d’abord apprendre à repérer les différentes émotions à l’origine de ses prises alimentaires, puis faire un travail singulier sur chaque émotion.
Perdre du poids ne doit pas être un combat, mais une quête de la paix avec soi-même, insistez-vous. Que signifie faire la paix avec soi ?
Stéphane Clerget : Faire la paix, c’est arrêter de se maltraiter avec des régimes voués à l’échec. C’est ne plus se battre contre ses envies, ses désirs, ses émotions, car en étant sans cesse en guerre, on finit par craquer et par réagir de manière psychosomatique, en mangeant. Faire la paix, c’est prendre conscience de soi, avec ses bons et mauvais côtés. C’est accepter la personne que l’on veut être. C’est ainsi que l’on régulera ses émotions, et évitera leur impact sur les aliments. Mais cela ne veut pas non plus dire qu’il ne faut pas d’agressivité : nous avons le droit d’en vouloir à nos parents par exemple