Une opinion de Pascal Warnier, économiste, diplômé en sciences de l'éducation.
Le burn-out est une maladie, la maladie du don et de l’excès d’engagement. Alors, comment revenir à la vie après une telle traversée ?
Vivre un burn-out est une expérience radicale. Du jour au lendemain, vos facultés cognitives et vos capacités physiques et émotionnelles sont violemment altérées. Vous vieillissez de 10 ans en quelques semaines et vous entrez subitement dans un autre âge, pour y rester plusieurs mois, un an, voire davantage. C’est une expérience extrêmement douloureuse mais infiniment humanisante. Et pour en sortir, il n’y a pas de choix. Il faut changer de repères, radicalement.
Le mécanisme qui conduit une personne à "brûler toutes ses forces" est souvent le même : donner au travail, donner en famille (on parle aussi d’épuisement parental ou familial), donner sans compter, se donner en s’oubliant. Jusqu’à ne plus pouvoir donner du tout. Plus une minute de travail. Plus une attention aux autres. Plus rien. Absolument rien. Le burn-out est une maladie, la maladie du don et de l’excès d’engagement comme le suggère Pascal Ide. Un don consenti qui devient tyrannique au fil du temps et des circonstances de vie. Incompréhensible pour bon nombre de personnes, ses racines sont à rechercher dans la difficulté que l’on éprouve à mettre ses limites et à renoncer dans le même temps à la gratification que ce don inconditionnel peut procurer. Mais aussi dans une tendance appuyée à l’empathie et la compassion. Ce mécanisme est addictif et c’est pourquoi en sortir est difficile, si ce n’est en allant jusqu’au bout de ses propres forces. Aveuglément. Là où le corps se dresse comme l’ultime rempart et renonce catégoriquement à la vie ainsi vécue. Souvent, le couperet tombe subitement, en un coup. Il faut alors tout arrêter. Du jour au lendemain. Un excès conduit à la chute. Un autre est indispensable au redressement. Au "trop-plein" succède le "grand vide". Il faut régénérer avec une infinie patience ce qui s’est consumé.
Alors, comment revenir à la vie après un burn-out ?
Savoir que l’on emprunte une fausse route, c’est déjà se libérer, avoue Alexandre Jollien dans son témoignage Vivre sans pourquoi. Il faut en effet du temps pour comprendre et accepter que l’on a emprunté une route qui ne nous convient pas, qui ne nous convient plus. Que notre vie devra désormais s’engager sur d’autres chemins, moins fréquentés certes mais plus en harmonie avec nous-mêmes. Donner, oui ! mais autrement. En étant complètement vidé, il y a enfin de la place pour que le renouveau trouve à se déployer. Une invitation à "être plus" face à l’adversité comme le suggère Pierre Teilhard de Chardin. Pour se reconnecter à l’essentiel, une seule consigne : accueillir et laisser faire. Rien de plus. C’est si simple et si compliqué à la fois. La beauté et la poésie sont une voie pour y parvenir et quand on les laisse agir en soi, elles guérissent bien des maux et aident à se défaire de ce besoin insatiable de contrôle et de perfection qui souvent sont le terreau où grandit l’épuisement. Au retour d’exil, le prophète Aggée, cinq siècles avant Jésus Christ, recommandait déjà au peuple hébreu ce retour à soi pour accéder à plus de sagesse : "Rendez votre cœur attentif à vos chemins. Vous avez semé beaucoup mais récolté peu ; vous mangez, mais sans être rassasiés ; vous buvez, mais sans être désaltérés". Le burn-out est un puissant révélateur de cette vérité. Mille raisons empêchent pourtant bien souvent de se mettre en congé du monde et de briser le cycle infernal de vies devenues surchargées et surconnectées. Oser ce grand saut vers "moins", moins de contrôle, moins d’assurance sur l’avenir, n’est pas aisé. Et pourtant, il libère de bien des servitudes. Mais pour cela, il y a des murailles à traverser. Celles de la pensée utilitariste et conformiste, il y a le corset des habitudes et des conditionnements à desserrer, il y a la tyrannie des standards modernes du bien-être dont il faut s’affranchir. Il y a enfin ses propres limites intérieures. Les plus difficiles à dépasser sans doute.
Quand on a connu l’extrême vulnérabilité, on ne supporte plus l’esquive ou les faux-semblants. Pour soi-même mais aussi dans les relations que l’on entretient avec autrui. On peut désormais regarder droit dans les yeux ce qui est fragile en soi, et ne plus en avoir peur ou même en avoir honte. Et comme le dit encore Alexandre Jollien dans son livre Le Métier d’homme "[…] Comme j’avais l’impression de tout avoir perdu, tout était à gagner". N’y a-t-il pas plus belle définition de l’espérance et plus sûr chemin vers la guérison du burn-out ?
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